700 ans d’archives : La droit de rêve (1420)

CC/3976, pièce 2

CC/3976, pièce 3
Charles, fils de Charles VI,
dauphin du Viennois et régent du royaume exempte les conseillers de la ville de
Lyon et tous les marchands de leurs obligations de payer rêve, cartulaire,
boite aux Lombards et autres des issues du royaume sur toutes les denrées qui
seront échangées durant les foires de Lyon. Ce privilège est établi pour 5 ans,
à compter du 9 février 1420 (1419, ancien style). L’acte, donné à Vienne, prend
la forme solennelle de lettres patentes. A l’origine, il était scellé, mais le
sceau s’est perdu. Il est enregistré par les commissaires sur le fait des
finances en Languedoc le 9 septembre 1420.
Ce document un peu cryptique
mérite sans doute quelques explications. Commençons par le contexte politique. Le
Dauphin exerce alors son autorité sur la partie méridionale de la France, les
partisans du duc de Bourgogne, alliés au roi d’Angleterre, étant maîtres de la
personne de Charles VI. Cet acte est connu comme étant le premier acte de
fondation des foires de Lyon. Sa portée fut assez limitée, puisqu’on sait que
dès la fin des années 1420, les foires s’interrompent du fait de l’insécurité.
On peut se contenter de voir dans
cet acte le premier d’une série de privilège octroyés aux foires de Lyon. On
peut aussi se demander à quoi le dauphin renonçait, en octroyant ce privilège
et, au-delà de l’histoire politique troublée de son temps, ce que cette taxe
révélait du fonctionnement de l’économie lyonnaise. Il faut pour cela
s’intéresser à la mystérieuse taxe mentionnée dans ces lettres. Qu’est-ce donc
que le droit de rêve ? Et que signifie en être exempté ?
Le droit de rêve
Parmi le très grand nombre
d’impôts et taxes existant dans la France d’Ancien Régime, figuraient des
impôts indirects, et parmi ces derniers, les taxes sur la circulation des
marchandises représentaient un revenu important. Ces taxes s’appliquaient aux
marchandises entrant et sortant du royaume, mais aussi aux biens circulant à l’intérieur
du royaume. A Lyon, on parle de droit de resve (ou rêve, le mot étant féminin)
pour les droits perçus sur les marchandises exportées vers les autres provinces
du royaume, et de droit de foraines pour les marchandises exportées à
l’étranger, mais la terminologie est évolutive (ainsi le régent Charles ne
parle pas de la foraine).
Pour le XVe siècle, la
documentation semble assez maigre. On est en revanche assez bien renseignés sur
le processus de taxation pour les XVIIe et XVIIIe siècles,
les tarifs étant publics, imprimés et affichés au bureau de la rêve. Ainsi,
pour une charge de mulet, soit environ 350 livres, le marchand devait
s’acquitter d’une somme variable. En 1653, une charge de blé était taxée 1 sou
et 6 deniers au titre de la rêve, tandis qu’une charge de cordons de soie était
redevable de 6 livres et 14 sous, soit plus de 120 fois le tarif du blé. Le
tarif de la foraine était souvent plus élevé, mais pas toujours. En 1653,
toujours, la charge de blé n’était pas taxée au titre de la foraine, tandis que
l’exportation de cordons de soie générait un droit de 8 livres[1].
La vérification des marchandises
se faisait soit au bureau de la rêve et foraine (installé au XVIIIe
siècle à l’Hôtel de ville), soit aux portes de la ville. Le marchand se
présentait au bureau, s’acquittait de sa taxe et recevait une quittance (ou
acquit) à titre de justificatif. Les contrevenants pouvaient voir leur
marchandise saisie, et être contraints de payer une forte amende de 500 livres.
La rêve était en principe une
taxe royale. Toutefois, dès le XVIe siècle, le roi en avait concédé
la perception à la ville, contre versement au trésor royal d’une somme fixe
(c’est ce qu’on appelait l’affermage). La mémoire de cette origine régalienne
ne s’était pas pour autant perdue, et en 1773, le roi rappelait que le
contentieux de la rêve et de la foraine relevait de ses tribunaux.
Les exemptions
L’acte du Dauphin démontre que le
droit de rêve était déjà bien établi. Il porte sur une exemption temporaire,
destinée à développer les foires de Lyon, puisque, pendant les deux périodes où
elles se tiendront, les marchands seront exemptés du paiement de ces taxes à
l’exportation. Il y a donc un intérêt financier très fort à venir commercer à
Lyon au moment de la tenue des foires. L’enregistrement par les commissaires
chargés des finances du Languedoc témoigne de la prise en compte de cet acte
royal par l’administration financière locale. Initialement, l’exemption ne porte
que sur 12 jours, et le dispositif souffre de l’insécurité du temps, avec un
arrêt temporaire dès 1425. Les exemptions accordées par le futur Charles VII
seront confirmées et verront leur calendrier s’étendre au fil du temps, avec le
passage de deux à quatre foires annuelles en 1463.
Il est possible que des
exemptions permanentes aient été consenties très tôt, pour faciliter les
relations entre la ville et son arrière-pays, mais la documentation sur ce
point fait défaut. Pour le XVIIIe siècle, on dispose d’une liste
assez longue, qui comprenait le sel, les marchandises expressément exemptées
par l’autorité royale, les provisions des ambassadeurs et gouverneurs qui
passeraient par Lyon, les eaux minérales, les matières faisant l’objet d’un
façonnage à l’extérieur de Lyon en vue d’être commercialisées à Lyon, les
linges lessivés à la campagne, le bétail invendu des marchés de Saint-Just, les
bêtes envoyées en pâturage à l’extérieur de Lyon, les chevaux, mulets et ânes
sortant du marché du rempart appelé Charabara, et enfin les matières destinées
à faire engrais sur les terres.
*
L’histoire du droit de rêve est,
d’une certaine manière, celle d’un cauchemar bureaucratique. Pour l’historien,
l’étude de sa perception, mais aussi de ses exemptions, donne de précieuses
indications sur ce que pouvait être une politique économique et, au moins pour
les XVIIe et XVIIIe siècles, sur les rapports entre Lyon
et son environnement, faites d’échanges permanents à des échelles très variées,
allant de la banlieue à l’international.
Sources
Marc-Antoine Chappe, Inventaire des archives de la ville de Lyon,
vol. 8, p. 209-225 (AML, 1W/51).
Taxe et estimation de la reve et imposition foraine faite à la charge
de mullet, ou bien à la charge de trois cents cinquante livres pesant ou
environ, Lyon, Guichard Jullieron, imprimeur ordinaire de la ville, 1653
(AML, 1C/702858).
Tarifs des droits de rêve, foraine, imposition-foraine et haut-passage
aliénés par Henri II aux échevins de la ville de Lyon par les lettres du mois
de mars 1555, confirmés au prévôt des marchands et échevins de ladite ville par
les rois ses successeurs et par Louis XV, avec l’ordonnance du bureau des
finances du 4 mai 1773, Lyon, Aimé de la Roche, imprimeur de la ville et du
gouvernement, 1773 (AML, 1C/702861).
[1] Il n’est
pas possible de donner d’équivalence en monnaie du XXIe siècle,
l’échelle des prix du XVIIe siècle étant très différente : la
part de l’alimentation dans les dépenses des ménages était beaucoup plus forte,
tandis que le coût des services était plus faible.