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Reliure : Innover, conserver

Affiche de l'exposition montrant une reliure lyonnaise
Archives municipales de Lyon / Grande salle

DU 18 SEPTEMBRE 2004 AU 26 FEVRIER 2005
 


Commissariat

  • Myriam Boyer

Conception et réalisation

  • Atelier de restauration des Archives de Lyon
  • Recherches documentaires : Tristan Vuillet
  • Graphisme : Phasme
  • Équipe technique et administrative des Archives de Lyon

 

 

Lorsque le bibliothécaire ou l’archiviste veut à tout prix préserver des assauts du temps les trésors qui lui sont confiés, l’amateur de beaux livres rêve quant à lui d’offrir à ses perles rares de somptueuses ou uniques parures. De l’opposition, toute apparente, existant entre les règles strictes dictées par la conservation et le geste créatif le plus libre est née l’exposition des Archives municipales et de l’école Jean Grolier. Autour d’une thématique axée sur la « reliure de Lyon », le visiteur est invité à effectuer un passionnant voyage au coeur des matières, des couleurs, de l’histoire et des techniques.

Procédé de reliure suspendue dans le dos principalement utilisé pour les registres d’archives, la reliure dite « de Lyon » fait partie des techniques remises au goût du jour. Utilisé aujourd’hui encore par l’atelier de reliure et de restauration des Archives municipales dans sa mission de conservation, il est le parfait exemple d’un savoir-faire jamais tombé en désuétude et une source d’inspiration pour le monde de la création contemporaine. La « reliure de Lyon » concourt, avec d’autres techniques ancestrales, au renouveau de la reliure, ce métier et cet art comme l’écrivait Louis Barthou, ministre de la 3e République et grand bibliophile.

Solide et fonctionnelle
Principalement utilisée pour les registres d’archives, notamment de délibérations et de comptabilité, la reliure de Lyon connaît son apogée entre Rhône et Saône à la Renaissance.
Elle est pourtant évoquée pour la première fois dans l’étude de René Martin Dudin en 1772. « L’art du relieur doreur de livre », publié dans la mouvance des écrits encyclopédiques du XVIIIe siècle, la mentionne dans le chapitre consacré aux « reliures qui font moins d’usage » où sont également décrites la reliure des livres chinois et la reliure du parchemin simple. Cependant, l’auteur ne propose pas un historique du procédé alors que celui-ci est déjà utilisé depuis des décennies, connaissant de multiples transformations et différentes formes.
Pratiqué par les relieurs et les papetiers, il garantit toutefois la longévité des documents en les rendant solides par des coutures de cohésion. Il tire en outre son originalité de la façon dont le bloc livre et la couvrure sont fixés par des liens visibles sur le dos, la couverture étant réalisée en peau (parchemin, veau ou basane) parfois agrémentée de simples filets ou décors en relief, dit décors à froid, réalisés à l’aide de fers.
Le principal avantage est d’autoriser une ouverture parfaite pour la consultation grâce à un dos plat, non arrondi comme dans la reliure traditionnelle, et dont la solidité est assurée par des bandes de cuir. Des tranchefiles protègent particulièrement la tête, partie fragile par laquelle on saisit trop souvent le document. Enfin, l’absence de colle prévient les phénomènes de vieillissement car, à long terme, celle-ci attire les insectes, noircit, s’oxyde et brûle le papier.

Une technique répandue dans toute l’Europe
Afin de mieux appréhender l’évolution du procédé, il faut se plonger à la fin du Moyen Age. Avec ses quatre foires annuelles depuis 1463, Lyon, étape obligée au carrefour de l’Europe du nord et du sud, compte nombre d’imprimeurs et libraires qui sont autant d’hommes d’affaires ouverts sur le monde. Des échanges commerciaux s’opèrent entre les grands centres d’imprimerie et d’édition, notamment l’Italie et l’Espagne. Bien que les ouvrages ne soient pas reliés sur leur lieu de fabrication, on peut supposer qu’ils favorisent la diffusion des techniques de reliure, sans doute véhiculées par les commerçants qui emportent avec eux leurs livres de compte.
Mais si l’appellation semble locale, une hypothèse veut que les origines de la « reliure de Lyon » soient coptes et arabes. Largement répandue en Europe, on la trouve plus particulièrement dans le sud-est de la France, en Espagne où elle est appelée mudéjar et en l’Italie (a busta), deux pays où elle est très courante dans les dépôts d’archives avec des pièces datant du début du XIVème siècle.
A tout seigneur, tout honneur, les Archives lyonnaises conservent de nombreux registres utilisant cette technique, principalement des délibérations du conseil municipal et des registres comptables ; à l’instar de celui du receveur Alardin Varinier, comportant la plus ancienne représentation en couleur des armes de la Ville (1481-1483). On pourra ainsi admirer dans l’exposition le registre de 1386 renfermant la taille (impôt royal) des Lyonnais et d’autres registres de copies d’édits, de lettres patentes de rois et d’arrêts, tous reliés sous l’Ancien Régime. Issus non seulement des fonds des Archives municipales de Lyon, mais également de Marseille qui ont prêté pour l’occasion un très beau registre sur la rève du vin (taxe) de 1385 et un registre comptable de 1726, ces documents côtoient dans l’exposition ceux, aussi précieux et protégés par autant de passionnantes reliures anciennes, des Archives municipales de Valladolid (Espagne), des Archives d’Etat de Turin (registre à couverture en peau de 1558) et de la Bibliothèque municipale de Lyon.
Ordonnances, registres de correspondance et autres délibérations consulaires reliées en veau brun estampé à froid ou encore livres de raison et minutes de notaires, la technique de conservation lyonnaise fournit là ses meilleures réalisations sur une période couvrant pas moins de cinq siècles !

Avant tout conserver
Les archives de Lyon sont le seul service d’Archives municipales de France à être doté d’un atelier de restauration et de reliure. Installé au premier étage du nouveau bâtiment inauguré il y a trois ans, l’atelier prend en charge la restauration papier des documents les plus fragiles, qu’il s’agisse de documents reliés ou non, mais également la reliure de conservation dite « de Lyon ». Utilisant ce procédé, le nouveau conditionnement de certains ensembles de documents rangés dans des cartonnages permet non seulement de protéger et de prévenir des dégradations mais encore de garder l’ordre de classement tout en rendant la consultation en salle de lecture plus aisée.
Le savoir-faire de l’atelier est présenté au sein de l’exposition à travers différents matériels, -dont un cousoir en bois nécessaire à la couture des cahiers d’un livre- et parmi des exemples de reliure en veau brun, de feuilles montées sur des onglets de papier japon, etc. Le visiteur découvrira également les matières utilisées –papier japon, papier chiffon, pâte de bois, ficelles et fils du relieur- et pourra se familiariser avec les laborieuses étapes de la restauration du papier : gommage, nettoyage, réparation des déchirures, comblement des lacunes…

Quand conservation rime avec création
Il était tentant de proposer à des hommes et des femmes d’aller au-delà des anciennes techniques, de laisser leur regard d’artistes se poser avec audace et passion sur le document papier et les matériaux.
Ainsi, une cinquantaine de relieurs contemporains de plusieurs pays ont répondu à la question lancée à l’occasion d’un concours organisé, en juin dernier, par l’école du livre Jean Grolier : peut-on allier respect du cahier des charges de la conservation à une recherche technique et artistique ?
Les réponses se sont traduites par autant de gestes inattendus, d’ouvrages exotiques, par de véritables petits joyaux de cuir, de soie, de carton ou de peau de chagrin. Dans ce panorama de couleurs et de matières, les techniques ancestrales ont été modernisées et se sont toujours faites complices : reliures de Lyon bien sûr, mais aussi reliures souples en papier, reliures chemises, reliures actuelles d’inspiration médiévale avec leurs ais de bois et leurs mors ouverts. Recouvrant des partitions musicales, des manuscrits, livres, chansons, recueils, poèmes ou des chromo lithographies, des reliures coffrets en chèvre décorées, chinoises en papier ou en soie, des reliures accordéon en peau de buffle, reliures cousues sur des lanières de parchemin ou de peau, des reliures perlées ou des reliures piano composent un florilège poétique en parfaite symbiose avec le contenu.
Foisonnement des couleurs et mélange des matières, l’exposition va enfin au bout des sensations grâce à un espace « tactile » offrant un échantillonnage des matériaux employés. De la résistance du papier de chanvre au grain marqué du maroquin (peau de chèvre ou de mouton tannée au sumac), du grain fin de peau de chagrin en passant par la basane, le parchemin (peau d’oviné traitée à la chaux), le cuir de buffle, de serpent, de poisson ou de galuchat, en vogue dans les années 30, sans oublier les assortiments de papier, chacun pourra voir et toucher à l’envi.