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1860, un séjour impérial à Lyon



En 2017, les Archives municipales de Lyon ont acheté un ensemble de 24 épreuves sur papier albuminé montées sur des feuilles de carton de format 25x30 cm estampillées d’un cachet à sec de forme rectangulaire « Richebourg photographe à Paris », retraçant certains aspects et moments de la visite de Napoléon III et de l’impératrice Eugénie à Lyon du 24 au 27 août 1860.

Pierre-Ambroise Richebourg (1810-1875) est à l’origine un opticien qui, formé à la photographie par Vincent Chevalier et Louis Daguerre, se spécialise sous le Second Empire auquel il s’est rallié, dans la photographie d’événements politiques (venue de la reine Victoria à Paris en 1856 par exemple [1]), de résidences officielles et de bâtiments publics. Il est également spécialiste de la photographie judiciaire.

Ce fonds est conservé sous les cotes 117PH/1-24, qui sont numérisées et consultables sur ce portail. 


Une consécration pour Marius Vaïsse
 

Portrait de Claude Marius Vaïsse - 1C/450001, tome 4
Portrait de Claude Marius Vaïsse - 1C/450001, tome 4



Ce n’est pas la première fois que Napoléon III vient à Lyon : il a notamment fait un bref passage à des terribles inondations de juin 1856. Mais au mois d’août 1860, c’est un séjour prolongé que font à Lyon le monarque et son épouse, en route pour la Savoie qui vient d’être rattachée à la France.

Au début des années 1850, Lyon est considérée par le régime comme une ville « à surveiller ». Nommé à la tête de l’administration du département du Rhône en 1853, peu après la suppression de la municipalité [2] et avec les prérogatives de maire de Lyon, Claude Marius Vaïsse se lance dans une politique volontariste d’urbanisme à Lyon parallèle à celle qui est menée à Paris par le baron Haussmann.

Lyon vient alors d’absorber trois communes limitrophes, Vaise, La Guillotière et La Croix-Rousse ; il faut les intégrer au tissu urbain et les doter de différents équipements. 

Préoccupé par les questions de circulation des marchandises et des personnes, d’hygiène urbaine (en Presqu’île particulièrement) et de sécurité publique, Claude Marius Vaïsse lance avec l’ingénieur en chef de la Ville, Gustave Bonnet, l’architecte de la Ville, Tony Desjardins, et l’architecte René Dardel de grands travaux qui vont bouleverser Lyon et lui donner une grande partie de son aspect d’aujourd‘hui : percement des rues Impériale et de l’Impératrice, construction du palais du Commerce, des gares de Perrache, des Brotteaux et de Vaise, création du boulevard de la Croix-Rousse sur l’emplacement des anciennes fortifications (à l’époque boulevard de l’Empereur) et de l’Hôpital de la Croix-Rousse, aménagement du parc de la Tête d’Or. En août 1860, il s’agit pour le préfet Vaïsse de présenter à l’Empereur une ville transformée par les travaux lancés depuis 7 ans.

Le conseil municipal « plein de confiance en Monsieur le sénateur, certain qu’il élèvera la réception de Leurs Majestés impériales à la hauteur de la ville de Lyon, de ses hôtes illustres et de lui-même… [2] » , vote le 13 juillet 1860 un crédit illimité à cet effet.


L’organisation du séjour

La visite des souverains est minutieusement préparée par l’administration lyonnaise qui s’inspire du cérémonial observé à l’Hôtel de Ville de Paris pour les recevoir [3] et recourt aux services techniques de la ville pour les aspects matériels.

Ceux-ci font appel aux fournisseurs officiels des grandes institutions parisiennes.

Il s’agit de la maison Julien Belloir pour la conception de décors éphémères et de la maison Boussavit, décorateur officiel pour les fêtes du gouvernement, habituée à travailler avec la maison Belloir pour les décorations florales.

Les archives ne permettent pas de décider si la maison Boussavit est réellement intervenue ; en effet, les archives de la Ville fournissent un état des 7819 plantes [4] qui ont été achetées auprès de 17 fournisseurs locaux parmi lesquelles : des plantes vertes, des plantes de serres chaudes, des lauriers roses, des hortensias, divers flox, des reines marguerites, des magnolias, des pélargoniums, des bananiers, des géraniums rouges, des lucias roséas, des rosiers du Roi, des artémises et des gladiolus variés. A celles-ci s’ajoutent les 6800 plantes commandées du fleuriste : cannas, reines marguerites, pervenches, liliums lancifoliums…

En revanche, cela ne fait aucun doute pour la maison Belloir, connue à partir de 1870 sous la raison sociale Belloir et Vazelle. Au départ spécialiste des décors de théâtre, cette entreprise de tapissiers décorateurs prend son essor sous le Second Empire en développant une activité de création d’architectures et de décors éphémères, et pour les cérémonies officielles (Ville de Paris, ministères) et les fêtes de la société parisienne fortunée. Ces aménagements, qui mettent en scène la vie mondaine sur fond de décor merveilleux, sont très prisés à l’époque. Cette entreprise participe ainsi à la plupart des événements remarquables de la seconde moitié du 19e siècle [5]


 

Aménagement de la grande galerie du palais Saint-Pierre pour la réception des corps constitués - 117PH/22
Aménagement de la grande galerie du palais Saint-Pierre pour la réception des corps constitués - 117PH/22



Quant au programme de ces journées et aux itinéraires des souverains dans la ville, ils sont minutieusement décrits dans un dossier du service la voirie municipale et dans un dossier de l’administration préfectorale [6] .

  • 24 août : arrivée en gare de Perrache et installation à l’Hôtel de Ville (alors également siège de la Préfecture) en passant par la toute nouvelle rue Impériale.
  • 25 août : présentation des corps constitués au Palais des arts, inauguration du Palais du commerce construit par l’architecte René Dardel, avec visite de l’exposition de soieries et mousselines, fonctionnement d’un atelier à tisser et cadeaux à la souveraine, visite à l’Hôtel Dieu, promenade dans la ville et au Parc de la Tête d’Or nouvellement aménagé, banquet et bal à l’Hôtel de Ville.
  • 26 août : pèlerinage et messe célébrée par le Cardinal de Bonald à l’église Notre Dame de Fourvière [6] , revue de l’armée de Lyon sur la place Bellecour à 13 heures - « des pavillons seront installés pour Sa Majesté l’Impératrice et les personnes invitées »- excursion à la Croix-Rousse avec halte dans un atelier de canuts puis au camp de Sathonay ; le soir, feu d’artifice sur la Colline de Fourvière.
  • 27 août : départ en chemin de fer de la gare de Genève (Brotteaux) pour Chambéry.

     
Façade de l'Hôtel de Ville et de son dais depuis la place des Terreaux - 117PH/1
Façade de l'Hôtel de Ville et de son dais depuis la place des Terreaux - 117PH/1



Une « couverture » photographique des décors pour la maison Belloir

Le photographe Pierre-Ambroise Richebourg se déplace pour l’occasion à Lyon, missionné par la maison Belloir.En effet, ces 24 épreuves, qui ne présentent que les lieux où des décors furent installés par l’entreprise pour recevoir les souverains, laissent à penser que ces photographies ne sont pas destinées au public, mais bien plutôt des images commandées au photographe pour en garder la mémoire dans les archives de la société. Les lieux photographiés sont annotées au crayon de papier. L’une des photographies comporte, en marge, un croquis.C’est ce qui explique que ce reportage ne couvre pas la visite à Fourvière, la promenade au parc, l’inauguration du Palais du commerce. Pour avoir des images de ces moments, il faut se tourner vers la presse [8].

Le reportage est ainsi composé :· Aménagements de l’Hôtel de Ville, 21 pièces dont :- façade de l’hôtel de Ville et de son dais depuis la place des Terreaux (1 pièce),- vues intérieures : salons (3 pièces), grands salons (5 pièces), salon Henri IV (1 pièce), salon de l’Empereur (3 pièces), antichambre (1 pièce), chambre à coucher de l’Empereur (2 pièces), chambre à coucher de l’Impératrice (2 pièces),- transformation de la grande cour en salon-jardin (3 pièces).

Cet aménagement de la grande cour en salon-jardin couvert avec parquet retient l’attention. Toutefois, au moment de la prise de vue, le chantier n’est pas encore terminé comme le montrent la présence d’échelles éparses sur le sol et l’absence d’éléments de décor connus par les récits et les dessins qui en ont été faits, telle la fontaine ornée des statues du Rhône et de la Saône disposée entre les deux rampes de l’escalier provisoire.· Aménagement de la grande galerie du palais Saint Pierre pour la réception des corps constitués, 1 pièce,· Revue des troupes lyonnaises place Bellecour, 2 pièces.Les archives administratives comme les relations qui ont pu être faites dans la presse ou dans des publications nous permettent de restituer ces photographies dans le contexte et l’ambiance de ces journées. 

 

Transformation de la grande cour en salon-jardin - 117PH/19
Transformation de la grande cour en salon-jardin - 117PH/19



Jean-Baptiste Monfalcon, bibliothécaire de la Ville de 1836 à 1870 [9] , en a fait, non sans une certaine admiration, le récit détaillé dans son Histoire monumentale de Lyon [10] : voici ce qu’il écrit sur la décoration de la grande cour de l’Hôtel de Ville :

« …ce qu’il y avait d’original, c’était la métamorphose de la cour de l’Hôtel de Ville en salon-jardin avec des eaux jaillissantes. Vu du perron, entre les deux rampes du bel escalier, ce jardin était d’un fort bel effet ; on avait ménagé sur plusieurs points des plates-bandes émaillées de plusieurs milliers de marguerites en fleur et très vigoureuses ; tous les espaces libres dans les encoignures et autour de la cascade étaient garnis de camélias, d’orangers, de palmiers, de bananiers et des arbustes exotiques les plus rares. Les eaux du bassin circulaire de l’hémicycle, à l’est, retombant de leur vasque, formaient une lame cristalline partout continue ; ce qui attirait surtout les regards, c’était une fontaine en rocailles, entre les deux rampes de l’escalier [3] ; elle était placée au fond d’une grotte décorée d’une multitude de fleurs et de deux statues penchées sur des urnes desquelles jaillissaient, en murmurant, des eaux limpides qui disparaissent bientôt sous la verdure ; elles personnifiaient le Rhône et la Saône. Des jets de gaz, ménagés au milieu de la verdure et des eaux, produisaient des effets de lumière très agréables ; le grand bassin du fond, à l’est, répandait tant de fraîcheur qu’on ne pouvait rester assis sur son bord circulaire. Rien de plus élégant et de meilleur style que la décoration des façades latérales de ce salon ; Les fenêtres de l’un des côtés étaient garnies de barreaux de fer épais mais d’un assez bon travail : dorés dans toute leur étendue, ils devinrent un ornement. Des portières en damas masquèrent les fenêtres du rez-de-chaussée ; celles du premier étage furent recouvertes de tentures en damas cramoisi. Des panneaux revêtirent l’intérieur des murs ; on les orna d’armoiries et de trophées […]. Une grande difficulté à vaincre, c’était d’improviser une toiture pour la vaste cour ; on en vint à bout, au moyen d’une immense toile goudronnée, entièrement revêtue à l’intérieur de tentures de couleurs variées, disposées avec art et retombant en draperies sur les murs latéraux ».

A tout ce dispositif, l’on ajoute une voie de communication entre le salon « extraordinaire » ainsi créé et le premier étage (salle de bal). L’architecte y pourvoit au moyen d’un escalier provisoire à double évolution et à double rampe bien visible sur l’une des épreuves.

Sur les photographies prises par Pierre-Antoine Richebourg, les barreaux de fenêtre dorés, les portières en damas, les trophées, les tentures…, tous ces décors sont bien présents, tels que Monfalcon les décrit.

Malgré toute cette dépense et ces efforts, notre chroniqueur constate, avec regrets, que « cette fête, qui aurait dû être très belle, ne satisfit qu’incomplètement l’attente générale. Son principal tort fut le nombre beaucoup trop grand des invitations qui avaient été faites ; il en était résulté des inconvénients de plus d’un genre » [11] .

En ce qui concerne les épreuves consacrées au Palais des Arts et à la place Bellecour, nous disposons là-aussi de la description détaillée de Jean-Baptiste Monfalcon. Enumérant par exemple les différents régiments présents sur la place, il cite entre autres « …la 11e batterie du 6e régiment d’artillerie (pontonniers avec deux bateaux)… », bateaux que nous retrouvons effectivement sur l’une des photographies. On y distingue également parfaitement le pavillon destiné à l’impératrice et à ses dames d’honneur et invitées, réalisé par la maison Belloir.
 

Transformation de la grande cour en salon-jardin - 117PH/20
Transformation de la grande cour en salon-jardin - 117PH/20


Immortalisation de l’événement

La presse locale, aux ordres, est enthousiaste : le Courrier de Lyon évoque le 24 août « la présence d’une foule immense qu’on peut évaluer à plus de cent mille âmes » [12] . Et, à propos de la soirée du 25 août à l’Hôtel de Ville, le Salut public écrit [13] que « jamais […] la ville de Lyon n’a eu un air de fête comparable à celui qui a signalé la soirée d’hier ».Le préfet-maire veut fixer l’événement dans l’Histoire et décide dans le mois qui suit l’événement, de publier une relation du séjour impérial lyonnais ; Monfalcon en sera le chantre.« A la fin du mois de septembre 1860, M. le sénateur Vaïsse me fit demander si je voulais me charger de rédiger une relation du séjour que leurs majestés impériales avait (sic) fait à Lyon à la fin du mois d’août. J’acceptai avec empressement ; ce travail était fait déjà pour le dernier volume de mon Histoire monumentale de Lyon ; il ne s’agissait que de lui donner plus d’ampleur en l’écrivant dans le style laudatif voulu par la circonstance [14] ».Monfalcon, à partir du récit déjà rédigé dans son Histoire monumentale, s’attelle donc à la tâche. Il s’emploie parfois maladroitement à ce style laudatif : la « gracieuse souveraine » devient la « si gracieuse et si belle souveraine » , la métamorphose de la cour de l’Hôtel de Ville n’est plus « originale » mais si « admirable et saisissante » qu’il juge bon d’ajouter à son texte initial: « c’était un coup d’œil vraiment féérique…, ce jardin était éblouissant ; on eut dit une décoration et une scène des mille et une nuits… ». 
 

Revue militaire place Bellecour, 26 août 1860 - 117PH/23


Un « simple » épisode…

Après huit jours de labeur, Monfalcon transmet son manuscrit au Sénateur Vaïsse pour relecture ; ce dernier souligne, rectifie, annote et, tel un César, parlant de lui-même à la 3e personne, dévoile l’objectif poursuivi :

« Il conviendrait peut-être d’exposer ici […] les préparatifs organisés par M. le Sénateur : dispositions prises, répartition des services, commissaires nommés etc. Monsieur le Sénateur, Maire et Préfet, représentant le maître de la maison recevant les hôtes impériaux de la ville ».

Ce travail réalisé à titre gracieux par Monfalcon le fut en pure perte, puisque le ministre de l’Intérieur refusa au sénateur Vaïsse l’autorisation de publier l’ouvrage « par cette considération qu’il n’y avait pas lieu à faire un semblable travail pour la ville de Lyon seule, le séjour de leurs majestés dans cette cité n’avait été qu’un épisode du voyage de l’Empereur et de l’Impératrice [15] ».

C’est ce qui explique que, dépité, notre chroniqueur décida de faire don aux Archives municipales de son opuscule manuscrit et des quelques documents lui ayant servi, en l’assortissant d’une notice explicative sur les circonstances de sa rédaction. 

 


 

  • 1 - Voir à ce sujet les dossiers conservés aux archives de Paris dans la série VK3.
  • 2 - Voir à ce sujet LE CLEZIO Alexis, Les années 1850, un tournant pour Lyon, IEP de Lyon, mémoire de 4ème année sous la direction de MM Benoit et Frangi, 2004-2005.
  • 3 - Archives municipales de Lyon, 1II/190. Jean-Baptiste MONFALCON, Relation du séjour à Lyon de leurs majestés l’empereur Napoléon III et l’impératrice Eugénie du 24 au 27 août 1860 publié sur ordre du sénateur Vaïsse chargé de l’administration du département du Rhône, Lyon, Perrin, 1860. Cet opuscule manuscrit contient des pièces d’archives que Jean-Baptiste Monfalcon s’était procuré auprès des principaux acteurs de l’événement pour rédiger sa Relation.
  • 4 - Id.
  • 5 - Archives municipales de Lyon 925WP/276, « Etat des plantes nécessaires pour la garniture de l’Hôtel de Ville » dressé par le jardinier en chef le 8 août 1860.
  • 6 - Catalogue de l’exposition Belloir et Vazelle Paris, Galerie Jane Roberts fine arts, 14 octobre-14 novembre 2015, catalogues de la BNF et du musée d’Orsay.
  • 7 - Archives municipales de Lyon, 925WP/276, Archives départementales et métropolitaines, 1M/165.
  • 8 - La basilique n’existe pas encore. 
  • 9 - Monde Illustré du 1er septembre 1860. 
  • 10 - 524W/683. 
  • 11 - 1C/450001 vol. 4 Histoire monumentales de Lyon, quatrième partie chapitre XIII, dix années de l’administration de M. le sénateur Vaïsse 1853-1863, Paris, 1866, pp. 48-59. 
  • 12 - On peut se représenter cette fontaine grâce au reportage réalisé par le Monde illustré (numéro du 1er septembre 1860 consultable sur Gallica). 
  • 13 - Id. « On distribua de cinq à six mille billets et c’était trop de moitié ; la cohue fut énorme… » p.55. 
  • 14 - Id. 
  • 15 - Patrice Béghain, Bruno Benoit, Gérard Corneloup, Bruno Thévenon : Dictionnaire de Lyon, Ed. Stéphane Bachès, Lyon, 2009. 
  • 16 - Archives municipales de Lyon 1II/190. 
  • 17 - Id.