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LA CARTE COMME OUTIL DE GOUVERNANCE
Le géographe Yves Lacoste écrivait en 1976 : « la géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre » ; oui, mais pas seulement. Protéger une ville, fortifier un territoire, connaître le détail de la topographie ont été longtemps à l’origine des meilleures cartes. Pendant les guerres mondiales ou dans l’Union soviétique, les besoins militaires ont conduit à une production cartographique gigantesque, même si la carte militaire d’aujourd’hui est confidentielle et inaccessible, comme l’étaient en fait ses prédécesseurs (maintenant accessibles en ligne, en archives ou sur le marché de l’ancien).
Gouverner, c’est aussi se donner le moyen d’intervenir avec efficacité sur l’espace, pour les routes, les chemins de fer, l’aménagement des fleuves, les installations énergétiques, l’urbanisme et l’aménagement en général ; d’où les cartes des Ponts et Chaussées, du ministère de l’Intérieur, de celui de la Marine, de très nombreux organismes d’État ou de collectivités…
La carte est devenue omniprésente dans tous les domaines de la transformation du territoire, c’est un outil fondamental dans le fonctionnement de nos sociétés. Un domaine très particulier de ces usages est celui des impôts. Il a d’ailleurs eu un rôle décisif, parallèlement aux besoins militaires engendrés par l’artillerie dans le développement de la cartographie. Les cartes des seigneuries, puis du cadastre, ont tôt fait de couvrir le territoire pour mieux percevoir taxes et impôts divers. Il y a là un paradoxe, dans la mesure où les cartes du cadastre ne servent qu’indirectement à intervenir sur l’espace. Ce sont fondamentalement des cartes qui informent sur des aspects immatériels de la société, comme la propriété, mais ancrés dans une spatialisation qui aide à cerner l’humain. On le voit, la carte sert à gouverner, qu’il s’agisse de la nature à contrôler, des aménagements nécessaires aux sociétés humaines, ou d’encadrer des techniques immatérielles de gestion politique et économique.
Thomas Blanchet, La Gloire consulaire ; Peinture du plafond du salon du Consulat de l’Hôtel de ville de Lyon, 17e siècle Photo Gastineau, Archives municipales de Lyon, 6PH/5583
Thomas Blanchet, La Gloire consulaire ; Peinture du plafond du salon du Consulat de l’Hôtel de ville de Lyon, 17e siècle
Photo Gastineau, Archives municipales de Lyon, 6PH/5583
" Je veux que la carte de mon royaume soit levée [...] "
“Carte générale de la France, Lyon”, feuille n° 87  ; César-François Cassini de Thury ; gravée par Nicolas Chalmandrier Bibliothèque nationale de France, département Cartes et plans, GE FF-18595 (87)
“Carte générale de la France, Lyon”, feuille n° 87  ; César-François Cassini de Thury ; gravée par Nicolas Chalmandrier Bibliothèque nationale de France, détail
La carte de Cassini

La Carte Géométrique de France, dite « carte de Cassini » ou « carte de l’Académie » a été dressée par la famille de cartographes des Cassini, sous l’égide de l’Académie des Sciences.
Il s’agit de la première carte topographique du Royaume de France ainsi que de la première dans le monde à s’appuyer sur une triangulation géodésique, mise en place entre 1683 et 1744.
Les travaux sur le terrain et la gravure se sont déroulés entre 1750 et 1815. La carte est composée de 180 feuilles accolées, établies au 86 400e (1 cm pour 0,864 km) qui offre une vision continue du territoire à la fin de l’Ancien-Régime.
L’exemplaire aquarellé a été réalisé à la main dans les années 1780. Chaque feuille a été découpée en 21 rectangles collés sur une toile afin d’en permettre le pliage et le transport aisés.

Carte générale de la France, Lyon, feuille n° 87 ; César-François Cassini de Thury ; gravée par Nicolas Chalmandrier
Bibliothèque nationale de France, département Cartes et plans, GE FF-18595 (87)
Tableau d’assemblage du plan cadastre parcellaire de la commune de la Croix-Rousse, terminé sur le terrain le 15 septembre 1827, levé par Mr. Chapelle, géomètre du cadastre, échelle 1 : 10.000 Archives départementales du Rhône et de la Métropole de Lyon, 3P/1019
Avis aux propriétaires portant sur la création d'une commission cadastrale  Affiche typographique, Lyon, 14 janvier 1833  Archives municipales de Lyon, 936W/4142
Lever l’impôt

Le cadastre parcellaire français, communément appelé « Cadastre napoléonien », émane de la loi de 1807.
Il s’agit du premier outil juridique et fiscal permettant de répartir équitablement l’impôt entre les citoyens.
Le cadastre est levé pour chaque commune de France entre 1807 et 1850. Il comprend un tableau d’assemblage, au 10 000e, donnant une vue d’ensemble de la commune ainsi que des sections, qui détaillent l’organisation des îlots, des parcelles et des bâtiments.
Les plans sont associés à deux registres : les « états de section » qui détaillent la liste des parcelles avec leurs propriétaires et le type d’occupation du sol et les « matrices cadastrales » qui indiquent pour chaque contribuable l’inventaire des biens imposables.

Tableau d’assemblage du plan cadastre parcellaire de la commune de la Croix-Rousse, terminé sur le terrain le 15 septembre 1827, levé par Mr. Chapelle, géomètre du cadastre, échelle 1 : 10.000
Archives départementales du Rhône et de la Métropole de Lyon, 3P/1019
Avis aux propriétaires portant sur la création d'une commission cadastrale
Affiche typographique, Lyon, 14 janvier 1833
Archives municipales de Lyon, 936W/4142
Dignoscyo, atlas de la ville de Lyon, vers 1860, planche 7, quartier des Brotteaux ; Encre, plume et lavis Archives municipales de Lyon, 1541WP/11
Aménager la ville

La réalisation du plan topographique de Lyon décidée au milieu des années 1850 par le maire Vaïsse a conduit tout d’abord à la mesure d’un cadre trigonométrique de points de référence, puis au relevé très précis sur le terrain des quartiers de Lyon.
Un premier levé a d’abord concerné la rive gauche récemment annexée, où la rapidité de l’urbanisation rendait le besoin d’un plan précis à jour urgent. Furent levés ensuite les autres secteurs de la ville, à commencer par la presqu’île, peu après 1860.
Ce plan topographique, ensuite mis à jour plus ou moins régulièrement, couvrait l’espace de la ville par un ensemble de feuilles rectangulaires découpées selon un quadrillage régulier. Cette façon de faire, peut-être inspirée des plans des grandes villes anglaises produits peu auparavant par l’Ordnance Survey, n’a pas d’équivalent en France et témoigne de la position en pointe de la topographie à Lyon dans le pays.

Dignoscyo, atlas de la ville de Lyon, vers 1860, planche 7, quartier des Brotteaux ; Encre, plume et lavis
Archives municipales de Lyon, 1541WP/11
Levers nivelés de la place de Lyon, tableau d'assemblage des 8 feuilles Échelle 1/5000e ; Génie, brigade topographique du génie, 1843-49 Archives nationales de France, CH81_TA
Levers nivelés de la place de Lyon, tableau d'assemblage des 8 feuilles Échelle 1/5000e ; Génie, brigade topographique du génie, 1843-49 Archives nationales de France, CH81_TA
Préparer la défense de la ville

Le Génie militaire a produit dans les années 1840 une série de carte des environs de Lyon, à trois échelles (1/1000e, 1/5000e, 1/20 000e), sans cependant cartographier l’intérieur des fortifications.
Ces cartes sont parmi les plus précises produites sur la ville, avec une représentation détaillée de l’occupation du sol et même des arbres. Il s’agissait de préparer les fortifications de Lyon contre une éventuelle agression militaire piémontaise ou autrichienne.
Leurs informations furent ensuite réutilisées par les géomètres privés comme Rembielinski et Dygnoscio.

Levers nivelés de la place de Lyon, tableau d'assemblage des 8 feuilles Échelle 1/5000e ; Génie, brigade topographique du génie, 1843-49 ; Assemblage des planches
Archives nationales de France, CH81_TA
Levers nivelés de la place de Lyon, tableau d'assemblage des 8 feuilles Échelle 1/5000e ; Génie, brigade topographique du génie, 1843-49 ; Détail d'une planche
Archives nationales de France, CH81_TA
Une carte pour réformer l’administration de Lyon et de ses faubourgs Plan manuscrit 26 septembre 1833 Archives municipales de Lyon, 4II/1
Réformer l’administration de Lyon et de ses faubourgs

À la suite de la première révolte des Canuts, intervenue à la fin de l’année 1831, le Gouvernement nomme un préfet à poigne en la personne d’Adrien de Gasparin (1783-1862). Celui-ci correspond quotidiennement avec les ministres, principalement celui de l’Intérieur, mais aussi le ministre du Commerce. Il entretient d’ailleurs une complicité particulière avec ce dernier, Adolphe Thiers, de qui ont été conservés plusieurs courriers autographes confidentiels, adressés personnellement au préfet.
En novembre 1833, il adresse à sa hiérarchie un mémoire sur la situation politique, économique et sociale de l’agglomération lyonnaise. Analysant finement la sociologie des quartiers de Lyon et de ses faubourgs, il plaide pour la réunion de la ville centre et des communes alors indépendantes de la Croix-Rousse, la Guillotière et Vaise. À l’appui de son rapport, il fait établir un croquis cartographique qui met en évidence quelques-uns des risques encourus par l’agglomération, en délimitant les zones touchées par les débordements du Rhône et en faisant apparaître la ceinture de forts qui cernent Lyon. La carte ne dit pas tout, le rapport fournissant quelques tableaux chiffrés, éloquents, sur la préoccupation majeure du préfet : surveiller les ouvriers.
Les réformes proposées n’ont pas d’effet immédiat, la répression de la deuxième révolte des Canuts, au printemps 1834, mobilisant les énergies des autorités. Néanmoins, les préconisations de Gasparin préfigurent la fusion de communes qui se réalise en 1853.

Une carte pour réformer l’administration de Lyon et de ses faubourgs ; Plan manuscrit ; 26 septembre 1833
Archives municipales de Lyon, 4II/1
Occupation des sols et de leur artificialisation, 2023 ; Carte produite par l’IGN en collaboration avec le Cerema et l'INRAE à la demande de la Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires
Opérer la transition écologique

Hier, l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) réalisait des cartes et des atlas pour découvrir les informations routières et touristiques de notre pays. Aujourd’hui, outre la production de cartes papier et numériques pour découvrir les richesses des territoires, l’IGN mobilise des sources de données multiples et des technologies innovantes pour représenter les évolutions des territoires à l’heure de l’anthropocène.
L’IGN contribue ainsi à tracer la voie de la Nation pour opérer et réussir la transition écologique pour laquelle le support visuel qu’est la carte constitue un outil de médiation sans équivalent.
Cartographe du service public pleinement tourné vers l’avenir, l’IGN est investi dans une double dynamique :
- D’une part, il s’agit de consolider des données socles fiables, indispensables à l’enrichissement des représentations thématiques (ressources en eau, fonte des glaciers, évolution des forêts, suivi des haies, recul du trait de côte, etc.).
- D’autre part, l’IGN mise sur les technologies de pointe : données spatiales « New Space » et intelligence artificielle pour gagner en réactivité sur la description des phénomènes, jumeaux numériques pour coconstruire des solutions en réalité augmentée (limitation de l’étalement urbain, implantation de sources de production d’énergies renouvelables, etc.), cartographie 3D de la France entière pour aider à la simulation et à l’aménagement de nos territoires, etc.
Chaque jour, ce sont ainsi plus de 1600 talents qui produisent, croisent, traitent et diffusent des données géographiques en open data et accessibles à tous. Avec l’ambition de représenter la France dans ses moindres détails, d’en décrire les villes, les forêts, les paysages et d’en observer les évolutions.

Occupation des sols et de leur artificialisation, 2023 ; Carte produite par l’IGN en collaboration avec le Cerema et l'INRAE à la demande de la Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires