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Faire l'histoire de l'intime

Affiche de l'exposition "En toutes lettres"

L’histoire de l’intimité a jusqu’à présent assez peu intéressé les historiens. On a ramené ce qui concerne la vie privée à une quotidienneté à la fois banale et secrète en même temps qu’on a élevé la vie publique à l’exceptionnel, sans doute parce que la vie privée a longtemps été considérée comme la part ultime de la liberté individuelle.

Si la vie privée est la part ultime de la liberté individuelle, le lieu où s’exercent et s’activent les désirs, les volontés, les projets et les rêves, on voit mal comment l’historien pourrait se priver de cette source vive. Comment comprendre les actes politiques, les décisions prises, les négociations menées si l’on ne se penche pas sur le lieu même où il est possible, et même probable, qu’elles se prennent et s’organisent avec le plus de force ? L’histoire a opéré un tournant, depuis quelques années, en direction de ce qu’on a appelé « la nouvelle biographie » pour cette raison précise : c’est qu’il a paru de plus en plus inefficace et parcellaire de rendre compte de l’histoire politique sans prendre en considération ce pan entier de nos vies qui en forme le terreau. Les hommes et les femmes politiques ne sont pas seulement des individus au sens où l’entend la théorie politique, c’est-à-dire des êtres neutres du point de vue du sexe, de l’âge, de la classe sociale ; ils ne sont pas non plus aussi rationnels que certaines écoles de pensée continuent de le croire. Les hommes et les femmes sont des êtres de chair, des personnes privées, ils sont des époux, des amants, des fils et des filles, des parents, ils se perçoivent comme dominés ou dominants, etc. Tout cela a un effet sur leurs choix, et par conséquent, sur la vie politique et sociale. Nous devons prendre en compte ces éléments si nous voulons comprendre ce qui se passe dans la sphère publique. Il ne s’agit pas seulement de faire l’histoire de la vie privée ; il s’agit d’observer comment la vie privée interagit avec la vie publique ; comme l’histoire dans les familles entre en contact avec l’histoire dans l’espace politique. Comment, en somme, l’intime et le social nouent ensemble des liens qu’il s’agit de décrire pour mieux comprendre l’organisation de la vie sociale et politique au sens large.

C’est à ce titre que la correspondance exceptionnelle des Morand nous permet d’entrer d’une manière inédite dans la vie politique et sociale de Lyon à l’époque de la Révolution.